Un champ d’investigation restreint
Le champ des pratiques psychothérapeutiques est très diversifié : plusieurs centaines de méthodes sont couramment dénombrées. Pour Alain Ehrenberg [2004a], les psychothérapies visent autant des problèmes pathologiques (psychoses et troubles psychiatriques graves) que des soucis de mieux être (souffrance psychique et développement personnel), dans un contexte d’incertitude quant au statut de pathologie donné à de multiples problématiques, et la notion même de santé mentale étant si large qu’elle en est indéterminée [2004b].
Pour Jean-Claude Maleval [2005, 2012], le clivage majeur du champ psy sépare les psychothérapies autoritaires, fondées sur l’imposition par un « maître-thérapeute » d’une technique standardisée (TCC, hypnose…) et celles qui prennent appui sur la demande du patient pour obtenir une mutation subjective (psychanalyse et psychothérapie relationnelle ou humaniste).
Sur le terrain, les pratiques psychothérapeutiques ont des orientations très diverses : du conseiller au simple accompagnant en passant par l’éducateur, le coach, le soignant, le guide, etc.
Dans son projet scientifique, notamment pour viser une certaine généralité des connaissances produites, le groupe de recherche ne peut pas espérer embrasser l’ensemble de ces pratiques : son champ d’investigation doit être circonscrit.
La méthode de référence des fondateurs du groupe de recherche PRAGMA, la gestalt-thérapie, de par sa généalogie et ses origines multiples, sa nature non standardisée et non prescriptive, son âge et sa large diffusion, est caractérisée par une disparité de pratiques trop grande pour pouvoir prétendre constituer le champ d’investigation. Les organisations professionnelles gestaltistes (CEGT et SFG) contribuent à clarifier la situation, mais restent ouvertes à des pratiques encore trop diverses pour le projet scientifique du groupe de recherche.
Un champ d’investigation construit à partir de la pratique
Le groupe de recherche fait le choix, dans un premier temps, de limiter ses travaux scientifiques à un ensemble de pratiques cliniques proches afin de garantir l’homogénéité du champ d’investigation et un certain degré de généralité des résultats produits.
Prenant acte de l’écart entre pratique réelle, d’une part, et, d’autre part, discours sur la pratique et théories de référence, la proximité des pratiques du champ d’investigation se doit d’être constatée à partir de la pratique professionnelle en situation réelle.
Le champ d’investigation est constitué par les activités cliniques d’un groupe de praticiens ayant multiplié les expériences de co-thérapies professionnelles et constaté in situ une proximité de leurs pratiques, indépendamment des discours qu’ils tiennent par ailleurs au sujet de celles-ci et de leurs théories de référence.
Ce groupe de praticiens professionnels est construit initialement à partir de certains gestalt-thérapeutes de l’équipe pédagogique de l’institut GREFOR, institut de formation de professionnelle de gestalt-thérapeute. Le champ d’investigation a vocation à être élargi à d’autres professionnels sur la base du constat, dans et par l’exercice professionnel réel de la psychothérapie, d’une proximité de leurs activités cliniques. Compte tenu des singularités de chaque praticien, le critère d’homogénéité retenu pour le champ d’investigation ne gomme pas les spécificités de chaque pratique et des variations de l’une à l’autre.
Le critère de construction du champ d’investigation garantissant son homogénéité, le constat in situ d’une familiarité des pratiques professionnelles, permet de laisser ouverte la possibilité d’y intégrer les pratiques de professionnels se revendiquant d’autres approches psychothérapeutiques que la gestalt-thérapie, voire d’autres approches d’accompagnement humain.
Bien que le choix méthodologique initial soit celui d’un champ d’investigation restreint, les retombées de ces travaux seront certainement utiles à l’ensemble des gestalt-thérapeutes et plus largement aux praticiens relationnels et humanistes. Ultérieurement, d’autres champ d’investigations pourront être définis.
Éléments de description du champ d’investigation
Quelques grandes lignes permettent de pressentir les caractéristiques des pratiques constituant le champ d’investigation. Cependant, compte tenu de l’écart entre pratique et discours, théorique ou spontané, ces grandes lignes sont seulement indicatives et ne prétendent pas constituer une définition du champ d’investigation :
- Elles sont conduites avec des patients adultes, habituellement en cabinet privé, en individuel ou en groupe et ne sont ni procédurales ni codifiables.
- La priorité est donnée à l’imprévisibilité de la rencontre, à la singularité du patient et à l’incertitude de sa trajectoire existentielle et de son développement psychique.
- Le praticien renonce à une position de savoir, de certitude, d’autorité, de pouvoir sur ou pour le patient.
- Il est postulé un développement psychique se prolongeant tout au long de la vie dans une propension à la croissance.
- Sont mis concomitamment en travail :
- la conscience du patient dans ses dimensions corporelles, affectives et cognitives,
- l’influence mutuelle permanente et inévitable patient-praticien,
- la rencontre patient-praticien les impliquant dans leur humanité,
- le lien patient-praticien et les investissements dont il est l’occasion dans la durée.
- La demande formulée par le patient et les changements qu’il souhaite sont considérés comme des construits de la situation présente, actualité incluant les traces du passé et les orientations vers le futur.
Des travaux, apparaissant aujourd’hui comme préliminaires, sont conduits depuis plusieurs années en vue de commencer à documenter une pratique relevant du champ d’investigation. Ils ont notamment permis d’identifier et de documenter une posture clinique [Brissaud F. 2011 & 2012-b] et de décrire cette pratique comme la mobilisation coordonnée d’un système intégré de savoirs professionnels peu conscient et modélisé comme un ensemble de compétences et de capacités professionnelles [Brissaud F. 2012-a & 2012-c].
Originalité
L’originalité du groupe de recherche PRAGMA est double.
Sa visée scientifique est descriptive des pratiques et non évaluative des effets. Il s’agit de décrire de façon fiable la façon dont les pratiques sont conduites alors que les recherches actuelles et passées en psychothérapie visent à mesurer les effets des pratiques sur les patients et à comparer leur efficacité, présupposant à tort que les pratiques évaluées sont documentées scientifiquement. Le groupe de recherche contribue donc à ouvrir un nouveau champ d’investigation scientifique en psychothérapie dont l’exploration bénéficiera des travaux descriptifs réalisés depuis quelques décennies dans d’autres secteurs professionnels, notamment dans le cadre des sciences de l’enseignement.
Le champ d’investigation est constitué à partir de la pratique professionnelle elle-même et non à partir des repérages habituels que constituent les différentes méthodes de psychothérapies (gestalt-thérapie, psychanalyse, thérapie cognitivo-comportementale, écoute rogérienne, analyse psycho organique, analyse transactionnelle, hypnose, systémique, etc.) ou les différentes catégories socioprofessionnelles disant exercer la psychothérapie (psychopraticiens, psychothérapeutes, psychiatres, psychologues, psychanalystes, médecins, etc.). Il s’agit donc de se dégager des clivages habituels constitués essentiellement sur la base des théories dites de référence pour partir du fait : la pratique réellement mise en œuvre par les professionnels de la psychothérapie.
Faisabilité et méthodologie
Bibliographie