La psychothérapie, au sens d’un traitement de l’esprit par l’esprit, est très ancienne, mais les formes qu’on lui connaît aujourd’hui sont apparues progressivement depuis le début du XXe siècle et leur diffusion est l’un des faits marquants de la charnière avec le XXIe siècle.
Aperçu des recherches scientifiques en psychothérapie
Depuis quelques décennies, les psychothérapies sont l’objet de nombreux travaux scientifiques. Conçus comme des traitements visant à guérir, atténuer ou aménager des troubles mentaux, les recherches dont les psychothérapies font l’objet sont conduites dans une perspective médicale d’évaluation des effets et de mesure d’efficacité des traitements [Fischman G. 2009, Lambert M. J. 2013, Roth A. & Fonagy P. 2004, Thurin J-M. & M. 2007, Wampold B. E. 2001]. En France, le site techniques psychothérapiques initié par Jean-Michel Thurin coordonne des recherches fondées sur les pratiques psychothérapiques.
Ces études évaluatives sont indispensables notamment dans la perspective d’une optimisation des dépenses de santé, mais elles ne renseignent pas sur les modes opératoires des pratiques psychothérapeutiques évaluées.
Considérant que les psychothérapies visent à transformer les états mentaux des patients et formulant l’hypothèse que le discours représente le moyen privilégié d’y parvenir, de nombreuses études ont été conduites sur l’entretien patient-thérapeute (pour un état des lieux voir [Lamboy B. & al. 2005, 2007]). Ces études ont en commun de s’appuyer sur le langage pour l’analyser en vue d’accéder à « autre chose », à une réalité seconde, l’objet de la recherche. La nature de cet objet de recherche diffère selon les études en fonction de l’aspect de la situation clinique qu’elles visent à expliquer, par exemple les activités mentales du praticien ou les processus thérapeutiques.
S’affranchir de la subjectivité et se centrer sur des traces objectives constitue couramment un critère de scientificité, mais présente plusieurs limites. Une même intervention peut réaliser des intentions différentes selon le contexte dans lequel elle est réalisée et le chercheur ne peut pas inférer de façon sûre cette intention. La réalisation d’une intention peut demander plusieurs interventions successives entrelacées avec les réponses du patient. Cette unité logique constituée de plusieurs interventions est d’un niveau de granularité supérieur à celui de l’intervention unique et elle est inaccessible à ces études appuyées seulement aux retranscriptions de séances sans recours au point de vue du praticien.
Subjectivité et scientificité
En vue de décrire la manière dont l’acteur s’y prend pour réaliser son activité, il est impossible de s’affranchir de l’expérience vécue par l’acteur et notamment du sens qu’il donne à son activité, des intentions qu’il poursuit, des valeurs, connaissances, prises d’informations mobilisées dans la réalisation de son action, autant d’éléments qui ne sont pas déductibles des observables.
Intégrer le point de vue de l’acteur devient une nécessité pour prétendre décrire l’activité des praticiens de la psychothérapie, mais demande des précautions. En effet, des travaux scientifiques, suffisamment nombreux et convergents pour que la question ne fasse plus débat, montrent qu’un écart significatif sépare d’une part la pratique et les théories de référence et d’autre part la pratique et les discours tenus par les praticiens au sujet de leurs pratiques [Bourassa B. et al 1999, Leplay E. 2006, Mandeville L. 2004, Pestre D. 2006, St-Arnaud Y. 2004].
Il est donc indispensable de viser à fiabiliser les données subjectives.
Approches scientifiques de l’activité humaine
Rejoignant les préoccupations d’autres champs disciplinaires –l’ergonomie, la psychologie du travail, les sciences de l’éducation ou les sciences et techniques des activités physiques et sportives– décrire l’activité d’un gestalt-thérapeute nécessite d’articuler des informations objectivables accessibles à un observateur extérieur et des informations subjectives concernant la manière dont l’acteur vit la situation et conduit son activité. Documenter le vécu subjectif du praticien dans le contexte de la mise en œuvre d’une démarche scientifique soulève la question de la fiabilité des données produites et impose que ces dernières soient obtenues par des techniques de recueil permettant de fiabiliser les propos tenus par l’acteur au sujet de son action [Rix G. & Lièvre P. 2005].
Décrire une pratique ne peut se satisfaire d’une simple accumulation de descriptions « au plus près » de la réalité singulière de chaque situation professionnelle. Il faut ensuite opérer un travail d’abstraction à partir de ces données d’expérience, découper, classifier, généraliser ces descriptions pour dégager des lignes générales et transversales aux différentes observations. Pierre Vermersch [2012] le dit autrement : il s’agit de regarder encore et encore avec patience ces données jusqu’à voir ce qui est là, depuis le début, mais que l’on ne discriminait pas encore. Les travaux menés en sciences de l’éducation depuis plus d’une décennie en sont une illustration. L’activité y est décrite comme la mobilisation, ajustée à la situation réelle, d’un système intégré et implicite de savoirs professionnels –déclaratifs, procéduraux, conditionnels– organisé en compétences et capacités [Bucheton D. 2009, Bucheton D. & Dezutter O. 2008, Jorro A. 2000 & 2006, Perrenoud P. 2008, Perrenoud P. & al 2008].
Une recherche scientifique descriptive
Le groupe de recherche PRAGMA se fixe pour projet scientifique de contribuer à des descriptions fiables de la manière dont les psychopraticiens conduisent leurs entretiens cliniques. Le paradigme de ce projet scientifique relève d’une articulation entre les paradigmes descriptif et compréhensif en renonçant au paradigme explicatif.
« Le paradigme descriptif vise à décrire des phénomènes ou des situations. […] Le paradigme compréhensif recherche le sens des phénomènes et non l’explication, car celle-ci en cacherait le sens. […] Le paradigme explicatif privilégie exclusivement l’explication causale, il a pour seul but de mettre en évidence les causes qui expliquent le phénomène. » [Pourtois J-P. & al 2001]
Il s’agit donc, de façon métaphorique, d’ouvrir aux chercheurs la possibilité d’entrer dans des cabinets de psychothérapie et plus encore d’approcher de façon fiable l’activité du point de vue subjectif du praticien.
Ce projet scientifique s’inscrit dans le cadre d’un intérêt plus vaste de la science à produire un discours, un logos, au sujet de l’activité humaine, la praxis. Il relève donc d’une science de la pratique, autrement dit d’une praxéologie et plus particulièrement d’une praxéologie de la psychothérapie entendue comme une science de la pratique psychothérapique.
Le champ d’investigation
Bibliographie